La Chose semble se constituer dans un mouvement trinitaire qui la fait passer du stade d'objet (où elle est posée, voire déposée), au stade de sujet (par lequel elle pose maintenant l'objet), au stade enfin de l'Autre (qui est l'acte même de sa position). Dès lors que tout existant doit s'ouvrir à son Autre pour y trouver son identité vraie, c'est bien en tant que Chose qu'il effectue ce mouvement, au terme duquel il doit se poser lui-même comme Chose - nécessairement donc dans un quatrième temps et comme quatrième élément (objet-sujet-Autre-Chose). Finalement, tandis que le ternaire s'achève bien avec l'Autre comme tel et le définit (d'abord comme Autre absolu ou divin), la structure de la Chose ek-sistante et finie s'avère être le quaternaire.
CHOSE, Position, Ternaire, Quaternaire
CHOSE, Altérité, Sujet, Autre
L'altérité est l'essence de la Chose, puisque la Chose est essentiellement ouverture à l'Autre. Mais se poser comme chose, autre chose, par rapport à l'Autre, permet d'en reconnaître la vérité, ou l'identité vraie. D'abord la Chose se fait objet de l'Autre, puis, éprouvant la finitude, elle se fait aussi son sujet, jusqu'à poser cet Autre lui-même comme chose. Le point est, pour le sujet, qu'il puisse advenir lui-même chose - et donc se poser comme l'Autre de l'Autre, dans la relation - et ainsi accéder à une identité nouvelle et vraie (par opposition à l'identité immédiate, fermée à l'Autre).
CHOSE, Existence, Quaternaire, Mère, HEIDEGGER
Heidegger critique trois interprétations dominantes de la « choséité » dans la pensée occidentale : 1) La chose comme substance avec qualités (thèse métaphysico-dogmatique), une unité réelle présupposée. 2) La chose comme faisceau de sensations (thèse empirico-sceptique, ex. Russell, Quine), une unité conventionnelle et fictive. 3) La chose comme matière informée (thèse philosophico-critique), une unité anticipée liée à la production. Contre ces conceptions, la pensée de l’existence et la psychanalyse proposent une « chose vraie », ex-sistante et ouverte à l’Autre absolu. En tant que finie cette chose s’inscrit dans un quaternaire, souvent décrit mais non posé comme tel, comme matrice d'une logique absolue.
CHOIX, Ethique, Temps, Aliénation, KIERKEGAARD
La philosophie de l'existence pose, non seulement le choix comme essentiel, mais l'identité du choix et de l'éthique. Ainsi pour Kierkegaard, « le fait de choisir est une expression vraie et rigoureuse de l’éthique ». La détermination du bien et du mal vient en second, sachant que l'existant choisit d'abord le mal, dans l'espoir justement d'échapper au choix, de renoncer à la contradiction du bien et du mal. Ainsi dans le phénomène de l'aliénation, dégagé par la psychanalyse, un choix est bien présupposé (puisque le sujet s'y constitue comme tel, outre le phénomène de la séparation), liant le sujet à l'Autre, mais de telle sorte qu'il soit empêché d'agir. Du côté de Kierkegaard, c'est la sphère esthétique qui illustre le non-choix, ou plutôt l'indifférence au choix. A contrario, dans le temps réel où s'effectue le choix, en ce point d'éternité, surgit une vérité que le sujet aura la responsabilité de pérenniser, en répétant, en confirmant le choix.
CHOIX, Liberté, Identité, Finitude
La liberté fondamentale consiste à se révolter contre l'aliénation à l'identité immédiate que l'on s'était donnée, pour embrasser la finitude de l'existence et pour s'y confronter. Elle se manifeste par le choix qui est position d'une telle liberté, devant l'Autre, dans l'objectivité du discours. Un choix que le sujet devra inlassablement répéter et confirmer, car il sait qu'il sera, par finitude justement, tenté d'y renoncer.
CERTITUDE, Sujet, Enonciation, Folie, LACAN, DESCARTES
Pour Lacan, la certitude du sujet est fondée sur l'acte de l'énonciation, bien qu'elle porte indéniablement sur l'être - au dernier terme un étant marqué par la castration, un sujet du désir, assumé dans sa relation à l'Autre. Pour Descartes également la certitude est fondée sur l'acte de la pensée, qui est bien une parole, d'où s'en conclut l'existence, le "je suis", au dernier terme une "res cotigans" - un sujet, certes, au sens de ce qui demeure identique sous les changements (soit le contenu divers des pensées) - car sans cela la certitude des pensées ne serait que ponctuelle. C'est en assurant le sujet dans son être que le dieu non trompeur, finalement, le conforte dans ses pensées, et dans le fait qu'il n'est pas fou (la distinction raison/folie n'intervient pas au niveau purement signifiant du cogito). Telle est le sens en tout cas de l'interprétation de Lacan avec sa logique du signifiant : il y a d'abord l'articulation signifiante, au niveau de l'énonciation, mais la certitude apparaît avec le surgissement du signifié, produit de cette articulation, donc effectivement avec l'être. Le "je suis" surgit non comme la conséquence mais comme le signifié du "je pense". Mais pour Lacan, contrairement à Descartes, on ne peut en déduire aucune permanence du sujet, lequel ne pense pas tout le temps ou ne saurait le dire - encore Descartes évoque-t-il son propre être de désir et de doute, par opposition avec la puissance de ce dieu, témoignant par là qu'il n'est pas fou. Le fou lui, pense et parle tout le temps, au sens où il semble parlé par l'Autre, sans pouvoir effectuer le passage du signifiant au signifié, le signifiant passant directement dans le réel avec le phénomène de l'hallucination.
CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES
"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH
CERTITUDE, Subjectivité, Critique, Finitude, DESCARTES
"Comment l’existant qui s’est mis en marge du monde ordinaire et qui se réclame, comme individu, d’une évidence vraiment absolue (c’est sa « vision ») peut-il donner à cette évidence toute son objectivité ? Il est là devant l’objectivité ordinaire. Pour pouvoir réellement la dépasser, il doit découvrir non seulement que c’est par finitude radicale qu’il l’avait faussement absolutisée, mais surtout que c’est lui comme sujet qui la produit et la reproduit : il doit donc poser la subjectivité en lui et en tout existant comme ce qui peut produire et reproduire l’objectivité absolue. Or position et subjectivité définissent la certitude, comme position et objectivité définissent l’évidence. La certitude est ainsi la subjectivité absolue de la critique, ce par quoi elle s’accomplit, comme l’évidence en est l’objectivité absolue, ce dans quoi elle s’accomplit."
JURANVILLE, HUCM, 2017
CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité
L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.
CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES
"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER
CAUSE, Identité, Oubli, Loi
L'identité avec l'existence définit la cause, laquelle fait acte de la loi pour le sujet. Cette loi, le sujet s'en saisit pour reconstituer peu à peu une nécessité à travers l'oeuvre - mais toujours d'abord le fini refuse pareille cause remettant "en cause" son identité immédiate et l'appelant à devenir cause lui-même. D'abord, par la grâce, la cause se donne comme objet fini (agissant comme cause matérielle), lequel est censé se faire oublier comme tel - mais l'existant refuse d'oublier l'objet, le fausse et l'absolutise, refoulant de ce fait la cause elle-même (comme dans la science). Ensuite, par l'élection reçue de l'Autre, la cause se donne comme sujet (agissant comme cause formelle), lequel peine à s'oublier comme substance, en tout cas comme conscience faussement souveraine (comme souvent en philosophie). Puis, par la foi, la cause se donne comme Autre (agissant comme cause finale), pour permettre à l'existant d'affronter la finitude et d'accepter l'oubli essentiel, afin de devenir Autre à son tour - mais le fini fausse cet Autre, lui attribuant une puissance sans finitude (quand la religion vire à la superstition). Enfin, par le don, la cause se donne comme Chose (agissant comme cause efficiente), Chose créatrice ouverte sur son Autre, ce que doit devenir à son tour le sujet existant par l'accomplissement de l'oeuvre.
CASTRATION, Sexualité, Pulsion, Chose, LACAN
Initiée par le signifiant Phallus, qui lui-même renvoie au vide réel de la Chose, la castration interrompt le principe de plaisir et le cycle pulsionnel. Certes l'objet de la pulsion est dit "perdu", mais tout autant et indéfiniment "retrouvé", donc la perte ici n'est pas réelle (à la différence de la Chose) mais un simple effet du processus pulsionnel, imaginaire. Cependant, si elle s'oppose ai sexuel de la pulsion, la castration ne se situe pas totalement hors du champ sexuel puisqu'elle conditionne - via le Phallus - aussi bien le désir que la jouissance.
CASTRATION, Père, Interdit, Imaginaire, LACAN
Le désir interdit, névrotique et culpabilisant, s'appuie sur le mythe entretenu du meurtre du père. Il s'agit là du père imaginaire. Mais l'agent de la castration est le père réel, "celui qui besogne la mère" dit Lacan, ou qui par sa présence est en mesure de le faire, bref c'est le père désirant lui-même castré. La rivalité n'est qu'imaginaire (et pour cause, l'enfant, lui, n'étant en mesure de rien du tout) et justement névrotique, elle entretient en miroir avec l'enfant l'image d'un père faible, un père qui a failli, finalement d'un père vengeur qui prendra la figure du Surmoi.
PHALLUS, Castration, Signifiant, Désir
Le signifiant, par nature, implique son propre effacement : c'est cette fonction que remplit originellement le phallus, en tant que signifiant non verbal, à la fois en se substituant à l'objet et en disparaissant lui-même pour laisser place au langage - et au désir. Le phallus est ce qui dans le langage laisse à désirer, fait désirer ; il porte en lui l'absence de la Chose, l'objet fondamental du désir. Enfin, en tant qu'il se fait représenter par le Nom-du-Père dans le langage, il instaure la loi - identiquement loi du désir et loi de la castration - qui assujettit le parlêtre au signfiant.
CASTRATION, Identification, Phallus, Désir, LACAN
Dans la constitution du sujet du désir, la castration se rapporte directement à l'identification symbolique, qui s'effectue à l'idéal-du-moi en tant que c'est la place du père réel : la castration est d'abord celle de ce père qui donne son nom, et qui se pose comme désirant (qui renonce donc aussi potentiellement à la jouissance). C'est pourquoi l'identification symbolique, qui conditionne le désir, ne peut être que phallique aux yeux de la psychanalyse (pour l'homme comme pour la femme).
CASTRATION, Jouissance, Phallus, Signifiant, LACAN
Par rapport à la jouissance, comme "au-delà du principe de plaisir", la castration en marque à la fois la possibilité (avec le désir) et l'impossibilité en tant que totale. Et c'est aussi la castration qui fait du Phallus le signifiant - comme signifiant et donc négation de la chose - le signifiant de cette impossible jouissance absolue.
CASTRATION, Interdit, Complexe d'Oedipe, Désir, LACAN
Si la loi du désir ne peut être définie par un quelconque objet, c'est qu'elle est constituée par la castration, le manque, la finitude humaine. Mais le névrosé "oedipianisé" ramène cette loi à l'interdit paternel - qui fait accroire à un objet et à une jouissance non pas impossibles mais interdits - parce qu'il est plus facile de subir l'interdit que d'affronter la loi de la castration. L'interdit a pour fonction de refouler aussi bien le désir que la castration, de même que l'interdit intériorisé en Surmoi refoule la vraie loi et se constitue en faute morale d'après Lacan : non pas d'avoir désiré l'objet interdit (puisque la transgression, sur fond de rivalité avec le père, est la seule option laissée par le Surmoi) mais d'avoir "cédé sur son désir".