ANALYSTE, Interprétation, Signifiant, Inconscient, LACAN

La parole interprétante (de l'analyste) doit permettre l'émergence du signifiant (par l'analysant), comme non-sens d'abord, dans la métaphore et le trait d'esprit, puis comme Nom-du-père qui est la métaphore essentielle et le signifiant du désir. La fin de la cure doit consister à convertir le symptôme dans le jeu de mots, au niveau de "lalangue" du sujet, afin d'en finir avec les maux qu'il occasionne. Durant tout le processus, malgré la levée du refoulement c'est toujours l'inconscient qui opère (il n'a pas à "devenir conscient" !), tant chez l'analysant que chez l'analyste. C'est pourquoi ce dernier, à partir du moment où il sait ce qu'il fait lorsqu'il interprète, littéralement ne sait pas ce qu'il dit.


"La parole de l’analyste comme signifiant est produite du lieu de l’analysant, pour « amorcer » en lui la production du signifiant et finalement faire apparaître le Nom-du-père dans sa présence, cachée d’abord, de signifiant constitutif du sujet. Il est frappant que dans l’analyse, ce qui accroche, au-delà de l’incertain du discours, ce sont les métaphores qui viennent à l’analysant comme à l’analyste. Faire de la psychologie, fût-elle analytique, s’interroger sur le rapport au père ou à la mère ou à l’oncle, ne font en rien avancer la cure, mais seulement se laisser entraîner, ce qui suppose un travail, dans le jeu des signifiants. Le jeu de mots, pour Lacan, vaut interprétation."
JURANVILLE, 1984, LPH

ANALYSTE, Interprétation, Question, Résistance, LACAN

Le passage à la sublimation, du côté du patient, se signale par la question du sujet comme tel, qui est aussi la question comme telle, « la question de l’être, ou pour mieux dire, la question tout court, celle du « pourquoi soi ? », par où le sujet projette dans l’énigme son sexe et son existence » précise Lacan. Au désir du sujet, qui se manifeste par sa question, doit répondre le désir de l'analyste, qui se manifeste par son interprétation, laquelle ne consiste pas en une quelconque explication (au niveau du dit) mais dans l'à-propos d'une intervention faisant acte (au niveau du dire). L'explication ne ferait que répondre à l'élucubration du sujet névrosé, elle ne ferait qu'ajouter une résistance, celle de l'analyste, à la résistance du patient. Or l'on sait que pour Lacan « la seule résistance véritable dans l’analyse, c’est la résistance de l’analyste ». Ce qui se produit lorsque l'analyste ne parvient pas à se soustraire aux séductions de l’amour du transfert, virant inévitablement à la haine ; lorsque l'analyste, aux yeux de l'analysant, passe pour un surmoi inquisiteur finalement méprisé (piètre sujet-supposé savoir !) au lieu d'incarner l'Autre réel, la Chose (et son savoir) seule à même de supporter la question essentielle du sujet.


"Pour introduire le sujet dans la sublimation, la Chose doit supporter la question où s’affirme l’être-séparé du sujet, et qui est la forme que prend la demande dans la sublimation... Mais ce qui en permet la mise en œuvre effective c’est le désir de l’analyste... Le désir de l’analyste se manifeste dans la cure avant tout par l’interprétation, et même comme interprétation... L’interprétation ne se place pas d’abord sur le plan du dit. Et l’exactitude de la construction, qu’édifie au moins autant l’analysant que l’analyste, est secondaire. C’est que le plan où une vérité doit émerger n’est pas celui du dit, mais du dire. Vouloir faire des constructions relèverait, dans le cadre de la cure, de la résistance de l’analyste. Freud d’ailleurs n’y voyait que des hypothèses."
JURANVILLE, 1984, LPH

ANALYSTE, Chose, Objet a, Castration

Si la cure analytique commence sur le plan de la demande (demande consciente de guérison, demande inconsciente de non guérison !), elle doit permettre le dévoilement du désir présent dans cette demande même, ce qui impose au sujet de faire l'épreuve de la castration.. L’analyste, initialement idéalisé comme « sujet supposé savoir », identifié au père imaginaire par le névrosé, est amené à déchoir de cette position pour devenir l’objet a, support du désir du sujet, tout en incarnant la Chose. Car c'est seulement en tant que Chose, dépositaire d'un savoir inconscient, que l'analyste sollicite l’émergence du signifiant du désir chez l’analysant. Lequel, hors refoulement, fait alors l'expérience de la traversée du fantasme, bien que le fantasme ne soit qu’un soutien du désir et non ce qui le maintient. C'est ici que le sujet fait l'épreuve de la castration (ou pas, s'il s'en tient à l'amour de transfert), laquelle se manifeste par la non-disponibilité de l’analyste aux pulsions de l’analysant, réaffirmant sa position de Chose et non simplement d'objet a. C'est ici également que s'impose une nouvelle identification imaginaire, celle de la sublimation se substituant à la névrose.


" C’est parce qu’il était dans la position de la Chose que l’analyste a pu susciter la production par le sujet du signifiant de son désir. Mais cela suppose le heurt avec la castration que le sujet va pouvoir tenter de fuir. Justement en réduisant l’analyste à l’état d’objet a. Le désir s’efface alors au profit de la pulsion. La pulsion se manifeste comme ce cœur du transfert, inséparable du désir humain, qu’est la sexualité. Si le transfert est « mise en acte de la réalité de l’inconscient », Lacan précise que cette réalité est « sexuelle ». Mais la castration se marque de ce que l’analyste n’est pas à la disposition pulsionnelle de l’analysant. Il n’y a pas d’issue perverse. Et l’analyste apparaît de nouveau comme la Chose, sollicitant encore l’émergence du signifiant. Telle est l’épreuve de la castration dans l’analyse : elle se présente comme celle de la coupure radicale qui sépare l’objet de la Chose, dont il est pourtant aussi la seule présence. Mais cette épreuve n’est supportable qu’à partir d’une autre identification imaginaire. La supporter, c’est alors entrer dans la sublimation."
JURANVILLE, 1984, LPH

AMOUR, Transfert, Séduction, Chose, LACAN

Lacan a pu affirmer que du transfert l’amour était « la face de résistance ». Pour autant il ne faudrait pas confondre l'amour de transfert, bien présent dans l'analyse, avec l'amour qui fait acte, l'amour qui permet d'accéder à la sublimation dans le cadre de la cure. Certes la cure ne va pas sans le transfert, qui ne va pas sans l'amour ; mais cet amour qui se mêle à la haine et qui fonctionne à la séduction doit être dépassé. De quelle haine s'agit-il ? Celle qu'entraîne inévitablement l'identification de l'analyste, par l'analysant, à son propre symptôme - mécanisme propre de la névrose. L'analyste placé dans la position du père réel (en tant qu'imaginarisé, donc finalement du père imaginaire), dans le cadre du transfert, est ainsi aimé comme son propre symptôme et fatalement haï pour la même raison. De quelle séduction maintenant s'agit-il ? L'analyste, depuis la place de la Chose qu'il occupe, ouvre structurellement à l'analysant l'occasion de s'identifier au père symbolique ; il le fait en lui communiquant son amour, celui qu'il puise dans le savoir qu'il incarne en tant que la Chose. Mais en tant que névrosé, le sujet analysant refuse cette identification (qui le confronterait à la castration), comme il refuse cet amour de l'analyste auquel il réplique et résiste par l'amour de transfert (amour-séduction), comme il refuse ce savoir de la Chose en faisant de l'analyste un sujet, un "sujet supposé savoir".


"Pour permettre de passer outre au transfert et rendre possible la sublimation, l’analyste doit effectuer sans cesse son propre travail de deuil, ouvrir par son interprétation équivoque et énigmatique un espace pour la parole de l’analysant. Répondre aux séductions du transfert par le refus de se prendre pour le maître, et à la haine par un amour, un autre amour que celui de la névrose. Cet autre amour est de structure, mais il prolonge l’amour névrotique. C’est lui qui fait acte."
JURANVILLE, 1984, LPH  

AMOUR, Savoir, Névrose, Femme, LACAN

En affirmant « la femme ne peut aimer en l’homme que la façon dont il fait face au savoir dont il âme », Lacan renvoie au savoir impliqué par le symptôme, et donc l'amour éprouvé dans le cadre de la névrose, y compris l'amour de transfert. Et il oppose au savoir "dont on âme" le "savoir dont on est", hors refoulement, à situer du côté de l'analyste, qui suscite lui aussi de l'amour. L'amour, quel qu'il soit, se supporte d’un certain rapport entre deux savoirs inconscients, et chacun y "marque la trace de son exil, non comme sujet, mais comme parlant, de son exil du rapport sexuel" - c'est en quoi la parole amoureuse, sur la voie de la sublimation, supplée au non-rapport sexuel. Mais sur cette voie l'amour névrotique, passant par l'identification au symptôme, doit être dépassé dans sa composante de haine... car "l'insu c'est la Mourre" ironise Lacan... pour parvenir à aimer le savoir inconscient de l'autre... "l’insu que sait de l’une-bévue"... , en bref celui qui aime est aimé comme celui qui sait est su. Cela ne veut pas dire que l'amour lève tout le refoulé, ou que la sublimation soit sans limite : la rencontre de l'Autre sexe - toujours féminin, en un sens - peut bien avoir lieu, cet Autre reste malgré tout l'Autre, et une femme comme le dit Lacan, irréductiblement, reste "un symptôme pour tout homme".


"Le savoir de l'analyste doit être distingué du savoir qu’aurait un « sujet supposé savoir », tout savoir de sujet étant nécessairement un savoir qui ne rencontre pas de limites, un savoir de l’ordre de l’écriture de la science, savoir séparé de sa vérité. Il doit être distingué aussi du savoir névrotique qui fait la vérité de ce savoir de la science. Évoquant un amour qui ne peut être qu’autre que l’amour névrotique du transfert, Lacan dit que « la femme ne peut aimer en l’homme que la façon dont il fait face au savoir dont il âme », et il oppose ce savoir dont il âme au savoir dont il est. Le savoir dont on « âme », auquel il faut faire face pour accéder à la sublimation, c’est le savoir impliqué par le symptôme, le savoir inconscient de la névrose qui conduit à reconnaître en l’autre l’objet de l’amour névrotique. Le savoir dont on est est le savoir de l’analyste, le savoir de l’écriture parlante, hors de tout refoulement."
JURANVILLE, 1984, LPH 

AMOUR, Analyse, Savoir, Sublimation, LACAN

Ce n'est pas pour rien que Lacan dit, à propos du savoir analytique, qu’il est la « lettre d’amour ». Si l'amour, donc ici le savoir analytique, est « ce qui supplée au rapport sexuel », il est proprement ce qui permet la sublimation dans le cadre l'expérience analytique. Cela ne se comprend que si cette expérience établit un rapport entre la Chose réelle (dont tient lieu l'analyste) et l'Autre symbolique (au lieu duquel est placé l'analysant). Car initialement c'est la Chose maternelle, chose parlante et signifiante quoique réelle, qui appelle le sujet à la place du père symbolique. Elle aime le sujet en le posant comme signifiant, comme Autre ; elle lui adresse cette "lettre d'amour" - ce que fait aussi l'analyste - pour qu'il énonce à son tour, à la place de l'Autre symbolique, ledit signifiant paternel. C'est bien ce qui fait de l'analyse une authentique sublimation, par un authentique acte d'amour, duquel résulte un authentique savoir dont bénéficie le sujet.


"Le savoir psychanalytique n’est pas simplement un savoir théorique. Et il n’est pas non plus un outil pour l’analyste. Il instaure la situation analytique, où la sublimation devient possible. En tant qu’écriture parlante, il fait du psychanalyste la Chose maternelle, qui appelle le sujet à la place du père symbolique. Et fait advenir en lui le signifiant. Ce qui n’est autre que l’aimer... C’est donc l’amour qui, dans la situation analytique, rend possible le passage à la sublimation. Il est alors acte. Le savoir de l’analyste est ainsi ce qui rend possible l’accession du sujet à la sublimation. Et il est également le savoir à quoi parvient le sujet dans la sublimation."
JURANVILLE, 1984, LPH 

AMOUR, Amitié, Démocratie, Politique

La démocratie est à la politique, sur le plan social, ce que l'amitié est à l'amour, sur le plan individuel : à savoir une façon d'assumer la finitude constitutive à laquelle l'homme est confronté dans sa relation avec l'autre. C'est le capitalisme qu'il s'agit d'assumer dans le cadre de la politique, et c'est la sexualité dans le cadre de l'amour.


"L’amour est, quant aux relations individuelles, comme la politique quant aux relations sociales : non pas une relation particulière, mais l'absolutisation ou intensification de toute relation... De même que l'amour, assumant la finitude radicale comme sexualité, laisse place à l'amitié et conduit, au-delà de la passion primordiale, à la vie de l'esprit, de même la politique, assumant cette même finitude comme capitalisme, laisse place à la démocratie."
JURANVILLE, 2015 

AMOUR, Sujet social, Christ, Psychanalyste, SOCRATE

Socrate, le Christ, le psychanalyste : ce sont les trois figures historiques dont on peut attendre qu'elles fassent advenir l'amour dans le monde social, parce que dans les trois cas ce n'est pas seulement un amour abstrait qui est donné, mais bien toutes les conditions pour qu'il devienne réalité. Socrate aime le disciple : il lui dispense d'abord sa grâce, en tant que maître, par sa déclaration de non-savoir. Il lui transmet ensuite l'élection, à charge pour lui d'entrer à son tour dans le dialogue et de surmonter la contradiction pour accéder au savoir et à cet objet précieux - objet d'amour autant que de désir - qu'est la sagesse. Certes, en raison de cette élection même et de la nature de cet objet, sagesse et amour ne seront pas accordés effectivement à tous, et la philosophie doit prendre acte de son incapacité à instituer, seule, un monde juste. Le Christ aime le disciple : il dispense sa grâce d'Autre absolu au disciple et à tout homme en tant que sujet social, prêche l'amour du Prochain et l'exigence de justice pour tous, mais bien sûr il ne peut faire que tous soient égaux devant l'élection que cette grâce implique, aussi le christianisme doit-il prendre acte de son échec à réaliser la justice sociale dans le monde. Le psychanalyste aime le patient ...même si c'est le patient qui éprouve l'amour de transfert (à quoi ne se résume pas l'amour) mais c'est l'analyste qui transfère premièrement, qui donne l'amour depuis le lieu qu'il occupe réellement, et inconsciemment, celui de la Chose. En tout cas il dispense au patient cette grâce de lui supposer un inconscient comme lieu de la vérité, mais aussi - là réside l'élection - il lui offre de devenir un sujet individuel (et pas seulement un sujet social) ayant à conquérir son autonomie. Et donc, une fois de plus, il n'appartient pas directement au discours analytique de réaliser la justice sociale, il reviendra toujours à la philosophie - maintenant inspirée par la psychanalyse - d'enseigner, pour qui veut l'entendre, l'amour, la justice, et cette fois explicitement la reconnaissance de l'individu véritable.

"Pour nous, et Socrate, et le Christ par excellence, et le psychanalyste aiment, et la succession historique de ces trois amours permet seule que l’amour soit reconnu de tous dans le monde social... La philosophie (le discours philosophique) reprenant la psychanalyse peut montrer en celle-ci le jeu du vrai amour, le psychanalyste transférant le premier sur le patient, et le patient ayant alors à entrer dans le même transfert et dans le même amour. Et c’est ainsi, à la fin de l’histoire ouverte par l’avènement de la philosophie en Grèce, que l’amour peut être reconnu socialement comme il le doit, et comme le voulait la philosophie, tout sujet social ayant la possibilité, dans une relation de l’ordre de celle qu’introduit le discours psychanalytique, d’advenir comme sujet individuel, et de répondre à l’amour (éminemment celui du Christ) par l’amour."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

AMOUR, Vérité, Altérité, Désir

Si, dans son acte, le sacrifice est renonciation, c’est par et dans l’amour qu’il s’accomplit. Il faut proclamer l'amour pour s'assurer que la relation à l'Autre impliquée dans la renonciation ou encore que l’altérité présente dans l’immédiateté, soit le désir, recevra bien vérité aux yeux de tous, puisque désir et en même temps vérité définissent l'amour. Car dans l'amour le désir est non seulement présent mais réellement accompli, dès lors que l'objet aimé désire à son tour, et réaffirme non simplement le désir tourné vers l'objet mais l'amour de l'Autre comme tel présent dans l'objet. Car le propre du vrai amour est de donner à son objet toutes les conditions pour advenir au même désir et au même amour. Paradigmatiquement, c'est l'amour de Dieu pour la créature par l'intermédiaire du Fils engendré, amour dont le Fils témoigne à son tour en donnant sens à la création, ce qu'il accomplit en donnant son propre amour à l'homme, lequel aime Dieu en retour, et décisivement son Prochain...

"Car dans l’amour il y a un désir, mais un désir d’emblée heureux (et qui ne peut pas être immédiatement déçu), d’emblée accompli et qui, simplement, attend quelque chose de l’objet comme Autre, que l’accomplissement qu’on lui suppose devienne effectif, qu’il s’établisse lui-même dans le même désir heureux présent chez celui qui aime, et dans le même amour. L’amour est donc bien désir et en même temps vérité. Surgissement du désir, du vrai désir, dans le réel, et réeffectuation, re-position de ce désir par tout existant – car un amour qui s’arrêterait à un objet ne peut être que faux, l’amour, comme le désir, allant vers l’Autre comme tel, et voulant simplement, à la différence du désir, faire advenir cet Autre dans son objet. De là la portée, pour la philosophie qui veut l’histoire, et donc la rupture, et donc le sacrifice, et donc la renonciation, de l’amour."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

ALTÉRITÉ, Révolution, Discours du clerc, Identification

Le discours du clerc a comme phénomène la révolution, de même que le discours du peuple a comme phénomène la tradition, et le discours du maître l’institution. Or poser la révolution implique d'une part d'affirmer son identité (comme énonciateur de cette idée, de ce projet) aux yeux des autres sujets, et d'autre part d'affirmer cette identité comme résultant de la relation avec ces autres sujets (comme interlocuteurs participant à ce projet) : cela revient donc à poser son identité dans la relation, ce qui définit proprement l'altérité. Mais porter la révolution implique non seulement une identité et une volonté, mais une identification sociale spécifique, la mise en place d'un discours. Nous dirons donc que l'identification sociale du discours du clerc est l'altérité, de même que l’identification sociale du discours du peuple est l’objectivité, et celle du discours du maître la subjectivité.


"Ce qu’il faut à l’existant, c’est certes poser la révolution voulue vraie, et donc s’affirmer identité aux yeux de l’autre homme, occuper à ses yeux la place du maître qui ordonne le monde. Mais c’est aussi, en même temps, poser comme essentielle la relation à l’autre homme, au point que l’identité provienne de cette relation. C’est poser en même temps identité et relation. C’est donc poser l’altérité, puisque telle est sa définition. Altérité qui est certes supposée par la révolution, mais qui doit être maintenant, non seulement posée comme telle, mais recréée comme telle, pour donner au discours du clerc qui se réclame de la révolution, sa vérité objective."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Séparation, Choix, Répétition

L'existence suppose à la fois une altérité et une identité vraies, une identité qui se constitue dans la relation et qui vient à se poser dans le savoir, précisément comme "savoir de l'existence". La première forme d'altérité pour le sujet existant est la séparation, par laquelle il éprouve la finitude en même temps qu'il accède à son identité nouvelle. La seconde forme d'altérité est le choix, par lequel le sujet existant pose sa liberté, et affirme son identité devant tout Autre comme objective. Enfin la troisième espèce d'altérité est la répétition qui lui fait éprouver la finitude comme radicale, irrécupérable dans ce monde, jusqu'à ce que la répétition du non-sens se solde par l'émergence d'un sens nouveau, délivré par l'Autre - soit l'altérité en acte, proprement.


"Que certes l’existence vraie, que la « pensée de l’existence » proclame contre Hegel (et contre la « métaphysique »), suppose une altérité elle-même vraie et essentielle. Que certes cette altérité fait s’effondrer l’identité telle que la conçoit la métaphysique, comme identité anticipative, hors temps. Mais que cette altérité est, en soi, identité et relation, identité se constituant dans la relation. Et que l’identité nouvelle qu’elle implique en vient, malgré qu’en ait la pensée de l’existence, à se poser elle-même dans le savoir. Qui est alors « savoir de l’existence »."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Identité, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD

L'on peut affirmer que la pensée de l'existence - notamment kierkegaardienne - ne tire pas toutes les conséquences de l'altérité radicale, qu'elle suppose pourtant. Puisque si elle admet bien que le fini reçoit de l'Autre absolu toutes les conditions pour accéder à une identité renouvelée, à une existence authentique où il assumerait altérité et finitude, elle exclut, au nom même de la finitude, que cette identité puisse être posée objectivement et que cette existence se traduise par un savoir. Ainsi, au niveau de la "sphère esthétique", où le fini étant appelé à trouver un sens au sens-sens, où le recevant même il exclut de le reconstituer sans relâche dans l'épreuve de la finitude, et retombe finalement dans une identité immédiate et superficielle. De même encore au niveau de la "sphère éthique", où le sujet étant appelé à reconnaître sa relation constitutive à l'Autre, ainsi qu'à tout autre humain, où recevant même cette injonction il n'en assume pas la pleine responsabilité et en arrive, par sa passivité, à cautionner l'injustice. De même enfin au niveau de la "sphère religieuse", où le sujet étant appelé à accueillir l'Autre absolu, où lui reconnaissant sans doute une identité vraie et radicalement autre, reconnaissant donc l'altérité, il refuse de la poser de quelque façon objectivement dans le savoir, au nom de sa finitude radicale à lui.


"Certes, répondrons-nous à la pensée de l’existence, vouloir poser objectivement l’identité vraie supposée par l’altérité, c’est d’abord rejeter l’altérité et la finitude. Mais exclure, comme elle le fait, de pouvoir jamais poser ainsi une telle identité, c’est effectuer le même rejet, et de façon bien plus radicale parce que définitive. De sorte qu’il faut au contraire, si l’on veut affirmer l’altérité – et l’existence –, s’engager à poser objectivement l’identité supposée par cette altérité, avec l’idée que de l’Autre, de l’Autre absolu, viendront les conditions d’une telle objectivité, d’un tel savoir."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Identité, Relation, Création

L'altérité n'est pas le contraire de l'identité ; elle s'oppose juste à l'identité immédiate, fermée sur soi, pour lui substituer une identité vraie à reconstituer dans la relation. "Reconstituer" en effet, car il faut bien supposer une identité originelle "en-deça" de la relation, et qui l'ouvre en se dé-accomplissant "elle-même", librement, pour ainsi se reconstituer comme "vraie" dans l'Autre. Ce mouvement n'est rien d'autre que l'acte d'existence comme création.


"Donner ainsi à l’Autre à venir les conditions pour être l’Autre qu’il doit être, c’est le créer – nous reviendrons sans cesse sur ces conditions qui sont la grâce, l’élection et la foi. L’altérité, l’identité qui se constitue dans la relation, est donc bien l’identité originelle en tant que, sortie d’elle-même, elle vise, dans la relation, à se reconstituer par son Autre qu’elle crée, et qu’elle appelle à la créer à son tour, à la recréer."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Identification, Structure existentiale, Chose

Le sujet fait l'épreuve de l'altérité, la sienne d'abord, en s'inscrivant dans la structure quaternaire de l'existence, celle de la Chose ex-sistante et inconsciente. Exister selon l'altérité, pour lui, consiste à s'identifier dans la relation, et il n'existe que quatre modes d'identification en fonction des quatre termes de la structure fondamentale : l'objet, le sujet, l'Autre, la Chose. La première identification porte sur l'objet, et elle prend immédiatement figure de perversion dans la mesure où l'objectivité de cette identité d'objet se trouve d'abord faussée, réservée à un Autre absolu faux. Du moins tant que la grâce ne vient pas donner vérité à cette perversion... Mais la grâce pouvant à son tour être refusée, une deuxième identification, portant cette fois sur le sujet, doit avoir lieu : elle caractérise la névrose, dans la mesure où le sujet se renferme sur une identité subjective fausse. Du moins tant que l'élection ne vient pas donner vérité à cette névrose. Mais l'élection n'étant d'abord pas assumée, une troisième identification doit s'effectuer, cette fois à l'Autre, seule instance depuis laquelle le sujet fera valoir une identité pleinement objective : elle se nomme sublimation, et comme les trois autres, elle est susceptible d'être faussée, du moins tant qu'elle n'est pas portée par la foi. Foi qui elle-même sera refusée, contraignant le sujet à une ultime identification, cette fois à l'Autre réel comme Chose originelle : pareille identification à un Autre d'avant toute relation est psychose, mais c'est aussi une "bonne psychose" dans la mesure où de cette Chose surgit toute relation et toute altérité, l'identification étant portée alors par le don.


"Car le fini d’abord refuse la foi, il la fausse comme il fausse la grâce et l’élection. Et il ne peut ensuite l’accueillir, et accueillir tout ce qui lui vient de l’Autre, il ne peut vouloir et revouloir à son tour toute la finitude, que pour autant qu’il s’identifie à l’Autre certes encore, mais à l’Autre en deçà de toute relation, à l’Autre en tant qu’il ouvre la relation, qu’il crée son Autre, qu’il donne. À l’Autre comme Chose, et pour cela, d’abord, à l’être de Chose que l’Autre absolument Autre lui a donné en le créant. Identification qui est psychose. La bonne psychose. Celle qui est portée par le don. Non pas celle par laquelle on s’enferme dans une identité rejetant toute relation, mais celle par laquelle on ouvre la relation. Tel est le mouvement que nous parcourrons partout dans ce travail. De l’objet (perversion, grâce). Au sujet (névrose, élection). À l’Autre (sublimation, foi). Et enfin à la Chose (psychose, don) – à partir de quoi tout se constitue et reconstitue dans sa vérité. Mouvement qui est primordialement celui de l’œuvre."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

IDENTITE, Altérité, Existence, Structure existentiale, KIERKEGAARD

Les fameuse "sphères de l'existence" selon Kierkegaard sont quasiment homologues aux "structures existentiales" (Juranville) déductibles de la théorie de l'inconscient, deux théories qui visent à établir la vérité de l'existence à l'aune d'une altérité radicale. Ces structures permettent de situer, et de formaliser, différents modes de l'identité avec l'existence, sachant qu'elles témoignent à chaque fois d'un évitement de la part du sujet pour poser cette identité avec toute l'objectivité requise du point de vue de l'Autre. D'abord le mode de la séparation avec la sphère esthétique, qui correspond à la structure perverse en psychanalyse. Ensuite celui du choix qui caractérise la sphère éthique, à laquelle correspond la névrose. Enfin la répétition, propose à la sphère religieuse selon Kierkegaard, à laquelle on peut faire correspondre la sublimation. Il existe une quatrième sphère pourtant écartée d'office par Kierkegaard, considérée comme impossible et hors existence puisqu'excluant par principe l'altérité : ce serait la métaphysique, stade de l'identité originelle avant toute relation, à laquelle il faudrait faire alors correspondre la psychose.


"Il y a bien, avec l’inconscient, une quatrième structure existentiale, la psychose. Structure décisive pour mener à son terme à chaque fois la position objective de l’identité supposée par l’altérité. Mais structure qui ne sera pas étudiée en propre ici, parce qu’elle est identification à l’identité originelle en deçà de la relation, et donc en deçà de l’altérité. Elle correspondrait, chez Kierkegaard, à ce dont il rejette la possibilité, à l’impossible « sphère métaphysique »."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Identité, Existence, Finitude

La pensée philosophique qui ne voit dans l'altérité qu'une composante ontologique de l'identité, qu'un mode transitoire vers la connaissance de soi (comme pour Hegel), manque évidemment l'altérité essentielle requise dans le cadre d'une pensée de l'existence. Car précisément l'existence se définit comme altérité mais aussi comme identité, les deux étant à penser ensemble. Mais à leur tour, les pensées de l'existence qui se contentent de poser un Autre absolu au-delà de l'humain, ou à la limite à l'intérieur de l'humain, en guise d'altérité, sans poser comme telle l'identité vraie qu'elle suppose, passent également à côté de l'altérité essentielle. Contrairement aux pensées traditionnelles de l'identité, ces pensées de l'existence reconnaissent bien la finitude radicale de l'humain, mais elles ne lui offrent aucune solution pour dépasser l'identité ordinaire, la condamnent à une autoflagellation sans fin. Le salut vient de l'identité vraie contenue en l'Autre, d'abord comme Autre absolu, laquelle s'efface comme telle devant son Autre en supposant à celui-ci identité et consistance - ce qui ne contredit nullement la finitude de l'existant, puisque cette identité nouvelle surgit du don imprévisible émanant de l'Autre absolu (c'est la grâce qui lui est accordée), à condition que l'existant la reconstitue par lui-même (c'est l'élection qui lui est destinée), mais à condition d'abord qu'il l'accueille (c'est la foi qui lui est communiquée).


"La vérité impliquée par l'affirmation de l'existence et qu'on doit d'ailleurs s'approprier dans le savoir est celle de l'altérité. Altérité essentielle qui, en même temps qu'elle fait s'effondrer l'identité ordinaire, anticipative, suppose une autre identité, vrai, créatrice. Altérité essentielle qui, par là même, caractérise primordialement l'Autre divin et, à partir de là seulement, mais à partir de là nécessairement, l'Autre humain... Une telle altérité, la philosophie contemporaine ne pourra pas d'abord la penser pleinement, parce qu'il faudrait poser comme telle l'identité vraie qu'elle suppose, et que ce serait d'abord contredire la finitude radicale découverte avec l'altérité... De là le fait que la philosophie contemporaine se contente en général de désigner d'une manière ou d'une autre un Autre absolu au-delà de l'humain et par lequel celui-ci découvrirait sa finitude radicale. Autre qui est carrément Dieu chez Kierjkegaard ou Rosenzweig, mais qui se retrouve aussi comme être, puis Ereignis (événement appropriant) chez Heidegger."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ALTERITE, Création, Révélation, Identité

L'acte créateur est le mode d'existence propre de l'altérité divine (qui est aussi l'identité originelle), et la révélation représente la possibilité, pour la créature, de reconnaître en l'Autre absolu sa propre identité vraie (lui qui se complaisait jusque là dans une identité fausse, refusant à la fois sa propre finitude et l'altérité de l'Autre). Or pour la créature, le fait d'entrer à son tour dans une créativité existante le conduit jusqu'au savoir, savoir de l'existence permettant d'instituer un monde juste où chacun puisse être reconnu enfin comme Autre véritable.


"Il n’y a donc plus, pour ledit Autre absolu, qu’à faire en sorte, par son surgissement derechef, par sa révélation, que le fini, étant entré dans sa propre puissance créatrice, institue enfin, par un savoir nouveau et vrai, le monde social juste. Monde juste dans lequel chacun sera reconnu comme Autre vrai, quelque refus que ce chacun oppose d’abord à son altérité à soi. C’est dans un tel monde juste que s’accomplit l’altérité."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Discours du clerc, Philosophie, Identité

Structurellement le discours du clerc est le discours de l'altérité puisqu'il se tient à la place de l'Autre, censé ouvert à son Autre. Ainsi la philosophie, depuis Socrate et Platon, se déploie dans un dialogue ouvert aux objections, dont il s'agit de tenir compte car l'identité débattue en dépend désormais. Cette dialectique de l'altérité et de l'identité est constitutive de l'existence même, dont le savoir est en question pour la philosophie.


"La philosophie que Platon a introduite à partir du dialogue socratique, et en voulant poser comme tel le savoir que vise ce dialogue, a au cœur d’elle-même l’altérité. Elle est altérité, ouverture aux objections de l’Autre dans le dialogue, mais aussi identité qui vient, comme nouvelle, de cet Autre et de laquelle on devra repartir (pour le savoir) – altérité et identité qui font l’existence ; et elle est savoir vers quoi dirige cette existence."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Autre, Absolu, Don

On ne fait pas spontanément l'expérience de l'altérité vraie, ou radicale, parce qu'elle suppose justement l'intervention d'un Autre absolument vrai. L'Autre est toujours d'abord ramené à soi. Mais l'Autre absolu et vrai, au-delà de toute finitude, demeure toujours ouvert à son Autre, en qui il suppose une identité elle-même vraie. De fait celle-ci se constitue dans la relation, qui elle-même est don. L'identité est ce qui est donné par l'Autre (le don se définissant comme altérité et vérité) du fait même de son altérité, et dans ce passage se constitue à son tour l'altérité de cette identité. Mais le don, en raison de la finitude, est toujours d'abord faussé et refusé, et l'altérité transformée en idolâtrie. C'est pourquoi l'intégralité du don, en réalité, porte sur les conditions même de l'accomplissement de l'altérité, c'est-à-savoir la grâce, l'élection et la foi.


"Et suivons maintenant ce passage de l’altérité vraie, depuis l’Autre comme tel (d’abord l’Autre absolu), jusqu’à l’existant comme son Autre. Passage dans lequel s’accomplit l’altérité. Passage qui est l’altérité. Ce passage se fait par le don (vérité et altérité). Car on donne à l’Autre. Pour que lui-même donne et soit l’Autre... Mais le don, du fait de la finitude radicale en celui qui le reçoit, est d’abord faussé. Et l’Autre comme tel (qui donne) est transformé à la fois en idole (Autre absolu faux) et objet-déchet. D’où la grâce (autonomie et altérité) dans quoi se transforme le don... Mais la grâce elle aussi se fausse, celui qui la reçoit voulant, alors qu’elle doit être communiquée, la garder pour soi et jouer à l’idole. D’où l’élection (autonomie et singularité) sur quoi débouche la grâce. L’existant étant appelé à être vraiment l’Autre, lieu de la vraie loi, et à s’offrir expressément à son Autre, dans l’objectivité. Mais l’élection elle aussi se fausse... D’où la foi (autonomie et finitude), qui vient de l’Autre absolu, mais aussi y ramène. Et par laquelle on sait que l’objectivité vraie sera finalement, grâce à cet Autre, de tous reconnue. C’est tout ce développement qui caractérise l’altérité."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Aliénation, Maître, Finitude

L'altérité dans le monde ordinaire se présente sous une forme tronquée, qui pour être fausse n'en est pas moins réelle, objectivement et subjectivement : c'est la relation aliénante à un Autre absolu identifié au maître, qui réduit le sujet au rang de serviteur, qui empêche l'épreuve de toute finitude radicale. L'Autre ne peut pas, dans ces conditions, apparaître comme vraiment Autre, celui qui s'adresse au sujet comme à son Autre : il ne dispense qu'une altérité faussée, même si lui-même fait bien référence à un Autre absolu, sinon il ne serait pas le maître.


" Or cette altérité ordinaire ne se borne pas à être fausse objectivement et théoriquement, elle l’est aussi et surtout subjectivement et pratiquement. Et l’existant ne se contente pas d’y déployer une objectivité fausse, il va jusqu’à y supposer comme principe de l’objectivité la chose originelle, mais elle-même faussée, illusoire et même hallucinatoire. Ce qui constitue, après ses dimensions névrotique et perverse, la dimension psychotique de l’altérité ordinaire. Altérité ordinaire comme aliénation."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Absolu, Autre, Sujet

L'altérité ne concerne pas seulement l'Autre en général, comme on pourrait le penser hâtivement, mais aussi le sujet. Car l'altérité de l'Autre réside bien dans sa capacité à être, effectivement, l'Autre du sujet, et à l'accueillir comme son Autre. De même, la relation du sujet à l'Autre ne serait que formelle s'il ne recevait pas de lui une identité nouvelle et donc sa propre altérité. Mais le sujet n'aurait d'abord aucune raison, aucune possibilité (étant donné sa finitude qui l'en détourne a priori) d'accepter cette grâce venant de l'Autre si cet Autre n'était pas, d'abord, l'Autre absolu ou divin. Un autre fini ne serait jamais suffisamment Autre. Ce qui ne doit pas empêcher le sujet de reconnaître un tel Autre absolu dans le visage du Prochain, soit finalement tout homme avec sa finitude, et de se tourner vers lui comme son Autre de même que l'Autre s'était d'abord tourné vers lui.


"Car non seulement l’Autre absolu est rencontré dans le visage du prochain, comme le dit Lévinas. Mais, devenant lui-même l’Autre, le sujet doit donner et donne à l’autre sujet les mêmes conditions qu’il a lui-même reçues de son Autre."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALTERITE, Même, Autre, Existence, PLATON, HEGEL

La métaphysique, de Platon à Hegel, confère bien à l'altérité une fonction nécessaire, dans la formation des idées ou dans fabrication du monde, mais elle ne lui reconnait aucune existence essentielle. Ainsi chez Platon, comme genre supérieur dans le Sophiste, ou comme force "rebelle" dans le Timée, l'Autre se contente - contraint et forcé - de participer au Même. Chez Hegel, l'Autre en tant qu'altération est bien au principe de l'accomplissement du Même, mais en tant que tel il ressortit au "mauvais infini" : en effet le changement est susceptible de créer à l'infini de nouvelles identités, lesquelles seraient vaines si on ne les reliait pas au développement du Concept, entité qui est essentiellement relation à soi-même puisque le Même se retrouve toujours dans l'Autre (là réside le "bon infini"). Dans la réalité supérieure de l'esprit, selon Hegel, quelque chose de vraiment autre, demeurant autre, n'existe tout simplement pas.


"Il y a bien une forme d’altérité dans la conception traditionnelle et ordinaire... L'altérité n'est alors néanmoins rien d'essentiel et reste prise dans le cadre de l'identité toujours déjà là qui se déploie ou, au mieux (Hegel), se développe en s'approfondissant : l'altérité n'apporte en rien l'essence, rien d'essentiel."
JURANVILLE, 2021, UJC

ALTERITE, Dieu, Autrui, Grâce, LEVINAS

L'altérité essentielle se rencontre nécessairement, pour l'homme en tant qu'être fini, toujours d'abord chez l'Autre divin. C'est le sens du premier Commandement. Même si Levinas a pu affirmer que « l'absolument Autre, c'est Autrui », seul Dieu peut se soutenir constitutivement comme Autre absolu, Autre-qu'Autrui en l'occurrence, et sans même parler de sa différence interne, entre les trois Personnes divines. Lui seul peut vouloir absolument l'altérité, tandis que l'homme constitutivement tend à fuir l'altérité (finitude radicale), y fait même nécessairement défaut. Certes pareille altérité peut être entrevue chez Autrui, mais elle reste à confirmer tant que le semblable ordinaire menace de se confondre avec le Prochain. Parce qu'il est absolument Autre et ouvert à sa créature, le divin donne à celle-ci (encore faut-il qu'elle veuille les recevoir) toutes les conditions (à commencer par la grâce) pour qu'elle devienne Autre à son tour. De son côté, c'est en célébrant le divin, en rendant grâce d'abord à Dieu, que l'homme peut communiquer à son tour sa grâce à l'autre homme, et devenir pleinement son Autre.


"La philosophie qui affirme l'existence et l'inconscient et qui vise à dégager le fond commun au judaïsme et au christianisme interprète le I° commandement comme invitation à s'établir dans l'altérité essentielle. Altérité essentielle qui est d'abord, pour l'homme et en soi, celle de l'Autre divin. Certes elle est rencontrée en l'autre homme. Certes Lévinas, qui a si fortement mis l'accent sur l'altérité, a pu avancer que « l'absolument Autre, c'est Autrui ». Mais l'autre homme ne reste pas, pour l'homme, pour l'existant, l'absolument Autre; il est trop semblable à lui, trop inéluctablement entraîné au même refus de l'existence. Et Lévinas en est venu à reconnaître que l'Autre divin, Dieu, est « autre qu'autrui, autre autrement, autre d'une altérité primordiale à celle d'autrui ». Disons que l'Autre divin est seul à vouloir absolument l'ex-sistence vers l'Autre, seul à être radicalement différent de l'existant en général, radicalement autre."
JURANVILLE, UJC, 2021 

ALTERITE, Vérité, Identité, Finitude, KIERKEGAARD, LEVINAS

Poser l'altérité comme essentielle et comme vraie, pour l'existant, revient à admettre que sa propre identité en dépend (finitude), et même plus radicalement qu'il la reçoit (imprévisiblement) de l'Autre, à charge pour lui de se construire dans cette relation à l'Autre ; et aussi de renoncer à cette identité première, fantasmée comme autonome dans l'ignorance de l'Autre (finitude radicale, refus), qu'il croyait d'abord être sienne (illusion, aliénation). Ceci n'est possible que parce que l'Autre, en tant que vraiment Autre (altérité radicale), est toujours déjà tourné vers l'existant - de même que celui-ci toujours déjà le fuit et le fuira - lui donnant toutes les conditions (grâce, élection) pour se libérer, s'il le veut (liberté), de son enfermement initial, et pour reconstituer à partir de soi l'identité nouvelle. Kierkegaard a bien dégagé, contre le socratisme (voir extrait ci-dessous), la condition de la grâce, et Levinas de son côté parle de l'élection, également contre Socrate (le « Nul n'est méchant volontairement » s'inverse en « Nul n'est bon volontairement », radicalisant la finitude). Juranville ajoute (rectifiant Levinas) que l'élection place l'existant en position de responsabilité, non seulement dans la relation éthique vis-à-vis d'autrui, mais aussi devant la tâche politique et proprement philosophique de déployer l'objectivité du savoir que cette altérité et cette identité - en tant qu'également et absolument vraies - rend possible.


"C'est ce que dit Kierkegaard quand il oppose, d'un côté, la relation du disciple au Christ dans laquelle l'instant (le temps) est décisif : le maître alors « donne au disciple non seulement la vérité, mais aussi la condition pour la comprendre », il l'amène à se souvenir qu'il est la non-vérité [finitude radicale] et qu'il l'est par sa propre faute [liberté] ». Et, de l'autre côté, la relation du disciple à Socrate : « La vérité n'est pas apportée en lui, mais elle était en lui ». Et c'est ce qu'il suggère aussi quand il oppose la pratique socratique à la spéculation platonicienne : « Le socratique est d'accentuer l'existence et en même temps l'intériorité, le platonicien de suivre la réminiscence et l'immanence ». Or l'Autre comme tel, l'Autre en tant qu'il est le lieu de cette altérité essentielle, avant tout l'Autre divin, est en relation constitutive avec son Autre, l'existant, auquel, comme Kierkegaard l'a évoqué, il donne les conditions pour accéder à la vérité qu'll lui apporte. Ces conditions (avant tout la grâce) permettraient à l'existant de se libérer de sa finitude et de l'enfermement en elle et d'accueillir la vérité (et identité) nouvelle à lui proposée. Kierkegaard dit ainsi que « le secret de toute communication est de rendre l'autre libre », de faire de lui un Autre vrai, non pas celui qui reçoit d'un autre la vérité, mais celui qui la recrée à partir de soi."
JURANVILLE, UJC, 2021 

ALIENATION, Contrat de travail, Individu, Autre, MARX

Au sujet du contrat de travail, pilier du système capitaliste, il faut reconnaître qu'il est incontestablement aliénant, puisque le travailleur y épuise ses forces et se détourne par là-même de cette "mise en œuvre de soi-même", comme le dit Marx, en quoi devrait consister un véritable travail créateur. Il s'agirait de travailler d'abord "sur soi" (et pas seulement "pour soi") afin de mettre à l'épreuve la fausse identité qu'on s'est toujours donnée, et que l'Autre, par sa grâce, nous invite à renouveler en épousant une nouvelle identité à partir de ce qu'il donne. Le rejet de l'Autre cesse avec l'acceptation du don. L'Autre se donne comme matière, matière comme maternité et « maternité dans son intégral “pour-l’autre”» dit Levinas. Depuis de cette matière, en son sein, le travail de la forme devenant sculpture de soi peut commencer. Dans le travail aliéné au contraire la forme s'impose de l'extérieur (ordres du patron, contraintes machiniques, etc.). Le travail n'est pas assimilé ou digéré, en soi et par soi, il n'est pas non plus assumé jusqu'au bout comme épreuve douloureuse, mais repassé immédiatement à l'autre travailleur, lequel est pris dans le même circuit et le même refus. N'oublions pas que, par définition, contracter reste un acte libre et c'est bien en ce choix que réside d'abord l'aliénation beaucoup plus que dans les conditions de travail plus ou moins éprouvantes mais aussi plus ou moins négociables.


"L’existant rejette toute identité nouvelle qui assumerait la finitude radicale, toute individualité vraie ; et il préfère penser qu’il est toujours déjà suffisamment individu et que, simplement, on l’a privé des conditions de son travail (c’est ce que Marx, illusoirement, dit des prolétaires : « Le travail a perdu chez eux toute apparence d’une mise en œuvre de soi-même, et ne maintient leur vie qu’en l’appauvrissant » ). Dans le contrat de travail, le travail est aliéné, mais d’une aliénation que veut l’existant, et ce contrat ne fait donc bien, rejetant l’individualité vraie, que prolonger la violence sacrificielle."
JURANVILLE, ICFH, 2010